Ce blog est en partie constitué de témoignages issus du forum de la F.F.S.B.

L’importance du sport dans la vie d’une personne sourde


A l’occasion des 110 ans de la fondation du Cercle de l’Abbé de l’Epée – vendredi 17 novembre 2006 – « Le futur des Sourds a-t-il un avenir ? ».




La dimension du sport dans la vie d’une personne sourde est-elle probablement plus importante que celle de l’entendant ?

Pour répondre à cette question, je ne pourrai expliquer l’intérêt du sport chez les sourds sans donner un aperçu de l’histoire du sport qui nous permettra de mieux comprendre son importance.

Pratiqué au départ à titre de loisir, le sport vit le jour durant la 2ième moitié du 19ième siècle avec la pratique de l’aviron, boxe, tennis, cyclisme, etc.
Cette époque coïncide en effet avec le Congrès de Milan et de ses conséquences désastreuses qui s’ensuivirent.

A l’image des entendants, des personnes sourdes sont tentées de l’intérêt du sport et s’adonnent à la pratique du vélo en participant aux compétitions de course chez les entendants. Malgré leurs bonnes performances, les sourds causèrent soi-disant des accidents dus à leur surdité. Ils furent priés de quitter aussitôt la compétition.

Toujours à cette période, les enseignants sourds furent délaissés petit à petit de leur établissement pour donner place aux entendants, seuls aptes à enseigner la parole, conformément aux exigences du Congrès du Milan.

Des cours d’éducation physique furent donnés mais s’apparentèrent à de l’éducation militaire – prétexte à un meilleur comportement. La pratique de la natation fit allusion à un lavage des oreilles pour une meilleure audition de même à une bonne respiration pour la parole.

L’épanouissement de la personne sourde fut ignoré.

Au début du siècle précédent, face à l’oralisme grandissant, les sourds se réunirent et cela déboucha à la création des foyers, existant jusqu’à nos jours.

Le temps ne tarda pas à venir à la mise en place des clubs sportifs au sein des foyers à l’exemple d’Anvers, Gand, Liège et Bruxelles.

Sous l’impulsion d’un sourd liégeois, Emile Cornet, une fédération sportive est née en 1922 et existe depuis lors.

Deux ans plus tard déjà, en 1924, le sport dépassa nos frontières puisque Antoine Dresse co-fonda avec un français Eugène Rubens-Alcais une fédération internationale, le C.I.S.S. (Comité International du Sport des Sourds) intitulée aujourd’hui sous l’appellation : I.D.C. (International Deaflympic Committee). Il s’agit de l’équivalent du I.O.C. (International Olympic Comittee) chez les entendants.

La promotion du sport chez les sourds se mit rapidement puisque à cette même année, en 1924 virent le jour les premiers Jeux Olympiques à Paris.

Pendant tout ce temps là, l’enseignement fut enseigné par la parole et cela amena davantage de personnes sourdes à rechercher l’épanouissement dans le sport au sein d’un club. Le nombre de membres et clubs ne fit que croître.

Les manifestations sportives permirent d’ailleurs aux artistes sourds de diffuser leurs oeuvres. Les colloques sur l’éducation se multiplièrent aux quatre coins de l’Europe.

Ces Jeux Olympiques d’été, à l’instar de chez les entendants, se déroulèrent tous les 4 ans puis vint la guerre 40-45. Cela n’empêcha pas les sourds de reprendre leur passion puisqu’en 1949 furent organisés les premiers Jeux Olympiques d’hiver. En 1953, les Jeux Olympiques d’été furent confiés chez nous en Belgique, à Bruxelles.

Ce n’est que beaucoup plus tard, en 1960 que les handicapés commencèrent à créer leurs propres Jeux sous la dénomination actuelle des Paralympics.

Le sport chez les sourds émigra des frontières d’Europe en 1965 où les Jeux furent organisés aux U.S.A. La dimension internationale du sport chez les sourds atteint son apothéose grâce à l’expansion de la langue de signes pouvant être comprise de tous ceux qui la maîtrisent.

Hélas, cela n’empêcha pas de convaincre les entendants toujours soucieux de réparer notre surdité par la création des appareils auditifs vers les années 60-70 et devenant depuis lors de plus en plus sophistiqués. Leur dernière invention, à savoir l’implant présente en effet un risque dans la pratique de certains sports.

Durant la 1ière moitié du siècle précédent (1900-1950), l’enseignement au sein des écoles pour sourds chez nous fut la mission des Frères et Soeurs de la Charité. Au fil du temps, ceux-ci n’imposèrent plus un oralisme pur dont ils comprirent les méfaits et cela permit à certains sourds de famille à déployer toute la richesse de leur langue à leurs semblables.

Vers les années 70, les Frères ayant atteint l’âge de la retraite... durent être remplacés par un corps professoral qui hélas fut dépourvu de connaissance en langue des signes. Quant aux sourds, ils furent déjà formés essentiellement dans des tâches manuelles en vue de l’exercice de leur futur métier (tailleur, cordonnier, etc.).

Ceci eut pour conséquence : la dégradation de la qualité d’enseignement dans ces écoles dites spéciales (type 7) et poussant certains parents à opter l’intégration pour leur enfant au sein de l’enseignement ordinaire.

Dans les années 80, on constata la présence des sourds intégrés au sein des clubs chez les entendants. Leur but est quasi identique à celui des sourds un siècle plus tôt, à savoir : l’épanouissement grâce au sport.

Cela aboutit rapidement à une double affiliation d’une part au sein d’un club entendant et d’autre part dans un club pour sourds. C’est-à-dire un sourd intégré s’affiliant dans un club pour sourds et un sourd dans un club pour entendants.

Un certain bénéfice pour le sport ressort de cette double affiliation :

• Le sport chez les sourds permet un épanouissement complet grâce à la langue des signes ;
• Le sport chez les entendants permet de rehausser la qualité du sport vu le nombre élargi de partenaires de tout niveau.

Par cette double affiliation, le sourd peut retirer un certain profit et donc partager son niveau et expérience à ses semblables.

L’affiliation d’un club entendant peut être conjointement liée à l’affiliation d’un club pour sourds ainsi que vice-versa.

Comme tout organe sportif, les clubs pour sourds sont régis par un comité et sont affiliés à une fédération composée d’un comité exécutif ainsi que diverses commissions sportives.
Cette structure permet également aux sourds de s’épanouir, outre la pratique, dans la gestion du sport (ex : secrétaire, délégué, entraîneur, etc.).

En pratiquant un sport, le jeune sourd pourra acquérir une identité de sourd grâce à la présence active d’un adulte sourd en tant que sportif ou administrateur d’un club ou fédération.

En effet la transmission de cette identité et donc de la culture sourde n’est pas toujours faisable dans d’autres domaines tel que la profession où le sourd est souvent isolé chez les entendants ou n’a pas de travail. De même que dans le privé où le sourd est essentiellement issu d’une génération d’entendants et ne tient qu’un rôle accessoire au sein de sa famille.

Problématique actuelle :

La Fédération Sportive des Handicapés regroupant les aveugles, moteurs et cardiaques souhaite vivement inclure les sourds au sein de leur organisme.

Avec comme première conséquence : notre fédération a été déchu de sa reconnaissance depuis la mise en place du dernier décret datant de 2001.

Notre fédération n’est donc plus subventionnée.

Malgré tous les recours épuisés jusqu’à l’engagement d’un avocat, la seule possibilité qui nous est donnée est de s’intégrer au sein de leur fédération avec les conséquences pouvant survenir :

* Les sourds seront inclus immédiatement au sein d’une cellule (physique) composée d’handicapés moteurs et aveugles.

* Les réunions ne pourront se faire par contact direct puisque personne de cette fédération ne connaît la langue des signes. Une interprète sera chaque fois nécessaire.

* L’intérêt de la réunion sera moindre puisque les points concernant les autres handicaps ne nous concernent pas et vice-versa.

* Les sourds seront progressivement voués à un rôle réduit dans la gestion de cette fédération, faute de communication.

En somme le sport des sourds sera géré par les entendants au détriment des sourds à l’image de la langue des signes, oppressée un siècle plus tôt.

Notre histoire ne fait-elle que répéter ?

Revenons au thème « l’importance du sport chez nous »... Outre les bienfaits du sport (vecteur social, santé, etc.), celui-ci a sans doute été le seul à avoir apporté sa pierre à l’édifice : la sauvegarde de la langue des signes.



Nicolas Rettmann
nicolas.rettmann@vitalsys.biz

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