Ce blog est en partie constitué de témoignages issus du forum de la F.F.S.B.

Le Chemin du Langage


L’histoire de la pensée ?

ou le Chemin du Langage selon Heidegger




La conception objectivante et théorique rend "oublieux" de la question de l’Etre et attentif seulement aux étants (« l’être arbre » est différent de « l’être humain », mais ce sont des étants qui appartiennent à l’Être).
Or, c’est dans le langage (dans la parole) que l’être retentit ; se révèle et se retire.
Le langage demeure donc capital : l’avenir de l’être et de l’homme se jouent dans le langage qui, pas plus que l’homme ou que l’être lui-même, n’est simplement un étant.


Le règne de la technique invite à caractériser notre époque, c'est-à-dire une certaine époque de l’Histoire de l’Etre et du rapport de l’homme à l’Etre, en référence au plus extrême oubli.
La technique, qui s’applique de plus en plus à l’homme (objectivation, manipulation, exploitation de l’homme), n’est pas un phénomène dont la portée et la signification s’épuisent avec l’humain.
Le sens et l’essence de la technique ne sont pas compréhensibles en fonction simplement d’une certaine conception de l’homme (anthropologie) et de l’histoire de l’humanité.
La représentation courante qui assimile la technique à un ensemble d’instruments et d’outils au service des hommes et du progrès (sous réserve de leur bon usage) est la vue superficielle, anthropocentriste et instrumentaliste. Cette conception, très répandue, ne permet pas de penser le phénomène technique. Elle fait partie de ce phénomène, elle relève de l’idéologie technicienne et, au-delà, de l’oubli métaphysique de la question de l’Etre.
Comment faut-il dès lors penser le règne contemporain de la technique ? L’unique réponse est : la technique et son primat sont la manière dont, aujourd’hui, l’Etre se dissimule et dont l’homme l’oublie.


La technique se situe dans le prolongement de l’Histoire de la pensée occidentale, depuis le fourvoiement métaphysique platonicien, qui s’intensifie avec Descartes et l’invention de la science moderne et qui culmine dans le nihilisme contemporain
Par conséquent :
- La science (comme projet de connaissance théorique) est foncièrement technicienne. La technique exprime la nature de la science ou son destin profond. Or, celle-ci ne pense pas, elle calcule. Elle est le contraire de la pensée méditante authentique
- l’ensemble de la pensée théorique – la theoria – à laquelle s’identifie le projet philosophico-métaphysique du savoir, est, dès le départ, un projet technicien. La pensée théorique est technicienne parce qu’elle procède d’une volonté de maîtrise, d’une domination de l’ensemble de l’étant. De la théorie spéculative à la technique opératoire, on passe seulement d’un maîtrise symbolique à une maîtrise effective, concrète, de l’étant.
Depuis 2 500 ans, l’Occident serait donc fondamentalement techno-logique.

Arrivé à ce point où il n’est plus possible pour l’homme d’aller plus avant sans se nier radicalement, il est permis d’espérer qu’un sursaut salutaire se produise. S’arrachant, enfin, à son égarement plus que bi-millénaire, l’homme est capable de s’arrêter, de renouer avec la pensée méditative, de s’aviser de ce qui s’est passé à l’aube de la philosophie. Et, ayant accompli ce grand « pas en arrière » qui permet de revenir à ce que les penseurs pré-socratiques avaient entrevu, il pourra s’engager sur un autre chemin, non oublieux de la question de l’Etre. Ce chemin est un chemin de langage.

Bien qu’il y ait eu des lueurs de vérités tout au début de la pensée philosophique (les penseurs avant Socrate), la philosophie s’est décidément engagée sur la voie illusoire de la métaphysique. L’erreur de Platon (la réduction de l’Etre à l’étant) se poursuit et s’aggrave dans la « modernité » ; elle culmine avec Nietzsche et s’achève dans notre contemporanéité technologique.

La philosophie – la métaphysique – noue au langage un rapport faussé.
Elle a placé le langage sous le signe de l’étant, c'est-à-dire de l’objet et de l’objectivation universelle. C’est ce rapport faussé et forcé qu’il s’agit de défaire, afin de nouer à la parole et à la pensée une relation libre.
Liée à l’histoire de la métaphysique et de la science (de la pensée théorique), la conception objectivante du langage culmine dans la technologie contemporaine (notamment la cybernétique et l’informatique). Elle est donc étroitement associée à la volonté de maîtrise et de domination calculatrices.



La modernité

Une volonté de certitude, caractéristique de cette modernité, va de pair avec le développement de la pensée analytique, calculante, méthodique (procédurale et technique), qui quantifie et mesure.
De là, l’importance des mathématiques pour la constitution de ce savoir assuré, qui se déploiera sous le nom de science moderne.
Ce savoir certain offre une maîtrise objective de la nature et permet, grâce à la science et à la technique, de la dominer.
Certes, c’est le dieu véridique (selon Descartes) qui assure l’adéquation entre mes représentations évidentes et les lois de la nature, mais la certitude au sujet de l’existence de ce dieu véridique est encore fondée dans l’évidence que j’ai de l’idée d’un tel dieu.
Le sujet pensant humain apparaît bien comme le fondement ultime de toute vérité et de toute réalité.
La philosophie moderne sera donc une philosophie de la subjectivité – un anthropocentrisme.
L’assurance radicale que le sujet acquiert ainsi concerne :
- le plan théorique du savoir : une science sûre, objective, vraie ;
- le plan pratique de la survie : une technique de plus en plus puissante, rendant l’homme « maître et possesseur de la nature » ;
- le plan moral : l’homme est libre, autonome, il est source et fondement de toutes valeurs et lois. Une règle n’est pas obligatoire parce qu’elle est révélée ou traditionnelle, mais parce que sa représentation sera perçue par le sujet pensant (rationnel) comme évidemment obligatoire. La morale kantienne explicitera cet aspect de la modernité demeuré embryonnaire chez Descartes.



Le Nihilisme contemporain

Selon Heidegger, Nietzsche achève l’histoire de la métaphysique occidentale – et donc l’oubli de l’Etre – sans réussir à s’en libérer.
Quels sont les aspects de cet achèvement qui culmine sous la forme du nihilisme contemporain ?
- Il n’y a plus que des étants. Seule la totalité de l’étant est encore considérée. Ceci est déjà vrai pour l’ensemble de la métaphysique.
Fondamentalement, « tout se vaut » et « rien n’a plus de valeur en soi. »
Cette homogénéisation radicale travaille la philosophie depuis son origine et culmine dans le nihilisme contemporain. Toute l’histoire de l’Occident est nihiliste.
- Seul le devenir est considéré. Un devenir que l’homme conçoit comme un processus illimité dépourvu de sens et de but.
- Produit de la volonté de puissance naturelle, l’homme est devenu le sujet de cette volonté. Une volonté qui ne cesse d’inventer des buts de calculer les moyens pour les atteindre, mais une fois réalisés, elle les abandonne ou les capitalise, pour se tourner vers de nouveaux objectifs, etc.
L’homme devenu le sujet de cette volonté : c’est à travers sa pensée et son action qu’elle s’exprime désormais. C’est l’homme qui invente buts et valeurs à partir d’une liberté et d’une spontanéité radicales. L’homme contemporain ne cesse de réinterpréter l’étant, de le travailler, de l’opérer, de détruire, de stocker et créer de nouvelles formes et de nouveaux contenus.
Tous les buts, toutes les valeurs apparaissent désormais comme posés – sans raison ni nécessité – par la subjectivité humaine. C’est le règne du relativisme et du décisionnisme, des morales et des conceptions du monde, sans autre fondement que l’acte irrationnel et contingent qui les institue de manière éphémère.
L’homme se préoccupe tout particulièrement de sa survie, condition nécessaire du déploiement plus avant de sa volonté de puissance. Aussi attache-t-il une importance capitale à la maîtrise et au contrôle de l’étant en devenir, c'est-à-dire de la nature.
Sciences et techniques apparaissent comme des moyens privilégiés de la volonté de puissance humaine qui réduit la vérité à l’efficacité, la pensée au calcul et le réel à une matière infiniment opérable et exploitable…



Heidegger est l’un des plus éminents représentants de l’intérêt, extrême et universel, manifesté par la philosophie à l’égard du langage, au XXe siècle.


Soulignant la technique et le langage, Heidegger exprime, à sa manière, l’enjeu capital de notre temps.
La seule réponse possible au règne de la technoscience serait une revalorisation du langage, associé à un mode de penser et de dire qui, ne répétant pas l’attitude théorique métaphysique, ne reconduise pas, in fine, à la technoscience.
La poésie est le lieu où l’être non objectivant du langage a pu, par excellence, s’exprimer. Les poètes, grâce à leur dialogue poétique avec le langage et avec les choses, déploient un monde et une histoire. Ils ne cherchent pas à dominer.

Heidegger se défend d’être anti-technoscience. Il ne serait opposé qu’à l’impérialisme des sciences et des techniques.

Mais Heidegger n’est pas un héritier des Lumières. L’humanisme progressiste est, lui aussi, anthropocentrique, et donc oublieux de la question de l’être.
L’humanisme, associé aux progrès des sciences et des techniques, et fidèle aux notions modernes de raison, sujet, volonté, appartient à la métaphysique. Aussi n’y a-t-il guère de place, chez Heidegger, pour une philosophie sociale et politique, qui nous ferait que nous détourner de la pensée méditante.
Seul compte le face à face entre l’être et l’homme sous la figure du penseur-poète. Certes le langage est dialogue, mais c’est à un dialogue avec l’être et le langage lui-même que nous sommes conviés.



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